Depuis janvier 2024, la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) transforme profondément le paysage du reporting extra-financier. Fini les rapports RSE flous, non comparables ou strictement volontaires : les entreprises soumises à la CSRD doivent désormais publier un rapport de durabilité structuré, auditable, et aligné sur des normes européennes. Ces normes s’appellent ESRS, pour European Sustainability Reporting Standards.
Adoptées sous l’égide de l’EFRAG, les normes ESRS fixent le cadre précis des informations que les entreprises doivent produire pour démontrer leur performance en matière de durabilité. Ce corpus normatif est composé de 12 standards obligatoires : 2 normes transversales, 5 normes environnementales, 4 sociales, et 1 dédiée à la gouvernance.
Comprendre la logique et le contenu de ces 12 normes est essentiel pour toute entreprise souhaitant se mettre en conformité… mais aussi structurer une stratégie RSE solide, crédible et tournée vers l’avenir.
Une structure en quatre grandes familles de normes
Les normes ESRS sont organisées de manière logique et progressive. Elles forment un socle commun à toutes les entreprises, quelles que soient leur taille, leur secteur ou leur maturité RSE. Voici leur répartition :
1. Normes générales (ESRS 1 & ESRS 2) : poser les bases
Ces deux premières normes sont obligatoires pour toutes les entreprises concernées par la CSRD. Elles ne traitent pas d’un sujet spécifique, mais définissent la structure et les principes du reporting.
- ESRS 1 – Principes généraux : définit les grands principes de reporting, comme la double matérialité, l’intégration dans le rapport de gestion, le niveau de granularité attendu.
- ESRS 2 – Informations générales : impose de décrire le modèle d’affaires, la gouvernance, la stratégie, les politiques de durabilité, les indicateurs, les objectifs, et les plans d’action. Elle agit comme la colonne vertébrale narrative du rapport de durabilité.
2. Normes environnementales (E1 à E5) : rendre compte de son impact sur la planète
Ces cinq normes visent à évaluer les impacts, risques et opportunités liés à l’environnement :
- ESRS E1 – Changement climatique : suivi des émissions de GES, objectifs de neutralité, plans de transition.
- ESRS E2 – Pollution : identification et réduction des polluants émis dans l’air, l’eau, le sol.
- ESRS E3 – Ressources en eau et milieux marins : gestion durable de l’eau, stress hydrique, préservation des écosystèmes aquatiques.
- ESRS E4 – Biodiversité et écosystèmes : effets sur les habitats naturels, espèces menacées, plans de restauration.
- ESRS E5 – Utilisation des ressources et économie circulaire : réduction des déchets, recyclage, efficacité matière, sobriété.
3. Normes sociales (S1 à S4) : élargir la responsabilité sociale
Les normes sociales traitent de l’humain, sous toutes ses formes :
- ESRS S1 – Effectifs propres : conditions de travail, santé, sécurité, dialogue social, diversité, formation.
- ESRS S2 – Travailleurs de la chaîne de valeur : respect des droits humains chez les fournisseurs, sous-traitants et prestataires.
- ESRS S3 – Communautés affectées : impact territorial et sociétal des activités de l’entreprise.
- ESRS S4 – Consommateurs et utilisateurs finaux : sécurité des produits, transparence, accessibilité, protection des données, éthique commerciale.
4. Norme de gouvernance (G1) : supervision et conduite des affaires
- ESRS G1 – Conduite des affaires : transparence de la gouvernance, politique éthique, lutte contre la corruption, responsabilités du conseil d’administration, pilotage de la durabilité au plus haut niveau.
Comprendre la logique : de la matérialité à la crédibilité
Les normes ESRS ne sont pas des cases à cocher. Elles forment un tout cohérent, basé sur deux principes fondateurs :
- La double matérialité : une entreprise doit rendre compte à la fois de ses impacts sur l’environnement et la société (matérialité d’impact), et des risques que les enjeux ESG font peser sur elle (matérialité financière).
- L’intégration stratégique : les sujets RSE ne doivent pas être traités à part, mais intégrés à la stratégie globale de l’entreprise, au même titre que la performance économique.
Chaque norme invite donc à décrire, chiffrer, planifier, et suivre. Et surtout, à prouver la cohérence entre les engagements pris, les actions menées et les résultats obtenus.
Une opportunité pour structurer sa démarche RSE
Même si les premières entreprises concernées par la CSRD sont les grands groupes cotés, les effets de la directive s’étendent à l’ensemble de l’écosystème économique, y compris aux PME. Clients, fournisseurs, financeurs, partenaires publics exigent de plus en plus des preuves de maturité en matière de durabilité.
Les normes ESRS constituent alors un référentiel structurant pour construire une démarche RSE claire, progressive et crédible. Elles permettent d’éviter le greenwashing, de gagner du temps dans la collecte des données, de valoriser ses bonnes pratiques et de prendre de l’avance sur les futures exigences.
Un levier pour aligner gouvernance, stratégie et transparence
Au-delà de l’aspect réglementaire, les normes ESRS permettent de faire converger plusieurs attentes fondamentales : celle des salariés (sur le sens et les valeurs), celle des clients (sur la traçabilité et l’éthique), celle des investisseurs (sur la gestion des risques), et celle des pouvoirs publics (sur les engagements climatiques et sociaux).
En ce sens, elles sont bien plus qu’un exercice de conformité. Elles constituent un cadre stratégique de transformation, qui pousse les entreprises à aligner :
- Leur modèle d’affaires
- Leur gouvernance
- Leur gestion opérationnelle
- Leur communication externe
C’est en cela que la CSRD, à travers les normes ESRS, peut devenir un moteur d’innovation managériale et de performance durable.
En conclusion
Les 12 normes ESRS marquent une nouvelle étape dans la construction d’une économie européenne plus transparente, plus résiliente et plus durable. Elles donnent un langage commun aux entreprises, aux investisseurs, aux régulateurs et aux citoyens. Elles traduisent en obligations concrètes les grandes aspirations sociétales : justice climatique, respect des droits humains, sobriété, gouvernance éthique.
Pour les entreprises, elles représentent un défi, bien sûr. Mais aussi une occasion unique de repenser leur utilité, leur impact et leur stratégie. En s’appropriant ces normes, même de manière progressive, elles peuvent transformer une contrainte réglementaire en avantage concurrentiel, en levier de confiance, en socle de pérennité.
L’avenir du reporting ne se jouera pas sur la quantité d’indicateurs, mais sur la qualité de la gouvernance, la cohérence des engagements, et la sincérité des trajectoires. Et c’est précisément ce que les ESRS viennent instaurer : un cadre pour piloter, pour rendre compte, et pour évoluer dans un monde où la durabilité n’est plus une option, mais une exigence.
➡️Pour aller plus loin, téléchargez nos fiches pratiques autour de la directive CSRD.